CV bidonnés : petits arrangements et gros mensonges

Source : article web d’Alternatives Economiques du 12 octobre 2000
Dossier L’actualité du management et de la gestion

CV bidonnés : petits arrangements et gros mensonges

Rédiger un CV est devenu un art. Et les recruteurs savent que tout candidat est tenté d’améliorer plus ou moins son profil. Jusqu’où peut-on aller dans le maquillage pour paraître plus beau et les talonnettes pour paraître plus grand ?

 

Un député Vert a récemment découvert − par hasard − que le porte-parole du principal parti de la majorité faisait croire, sur son blog, qu’il était toujours député, alors que son mandat avait pris fin depuis un an. En effet, le secrétaire d’Etat qu’il remplaçait en tant que suppléant avait récupéré son siège au Palais Bourbon après avoir quitté le gouvernement. L’élu écologiste a signalé le fait au président de l’Assemblée, et le blog mensonger a été très rapidement rectifié.

Cette histoire a eu nettement moins de retentissement que le diplôme d’HEC figurant au CV de Rachida Dati, mais qu’elle n’avait pas vraiment obtenu. Elle avait toutefois, semble-t-il, bénéficié de l’enseignement en question.

Ces deux affaires sont relativement anodines à côté de celle de l’ex-directeur de l’Ecole centrale de Lyon, choisi à l’unanimité entre plusieurs candidats par le conseil d’administration de ce grand établissement au vu d’un cursus prestigieux : ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé et docteur en mathématiques. En fait, l’homme était certes normalien … mais diplômé d’une modeste école normale d’instituteurs, et parfaitement démuni de tous les titres qu’il s’attribuait. De surcroît, et sans qu’il y ait forcément de lien avec son défaut de diplôme, son mode de management se révéla détestable. Fort heureusement pour ses collaborateurs, il n’est resté que neuf mois en poste.

Des chirurgiens sans diplômes et des pilotes sans licence

On pourrait multiplier les exemples, dont certains font un peu peur, comme celui de ce chirurgien suisse qui opérait sans avoir jamais eu le diplôme de sa spécialité − on peut se rassurer en se disant qu’il avait néanmoins fait des études de médecine. On trouve aussi des pilotes de ligne sans licence, comme ce Suédois ayant travaillé pour des compagnies aériennes belges, britanniques et italiennes pendant treize ans avant que l’on ne découvre qu’il n’avait pas de brevet de pilote. Le jour de son arrestation, il s’apprêtait à décoller aux commandes d’un Boeing 737.

La grande banalité des CV bidonnés

Les chasseurs de tête et autres recruteurs en entreprise sont relativement blasés, sur ce sujet : les CV « bidonnés » sont plutôt la règle que l’exception. Peu de candidats trouveraient grâce aux yeux d’un employeur qui placerait la barre un peu haut et condamnerait impitoyablement toute omission et toute affirmation mensongère. Les spécialistes estiment en effet que les trois quarts des CV sont « arrangés ». Les demandeurs d’emploi faisant état de titres purement imaginaires, comme l’ancien directeur de la grande école lyonnaise, sont néanmoins minoritaires. On voit plus souvent des cas à la Rachida Dati : le candidat s’attribue un diplôme qu’il a manqué de peu, se pare du titre d’ancien élève d’une grande école qu’il a effectivement fréquentée, mais sans réussir les examens de sortie, ou dans laquelle il a fait un stage d’été de quelques semaines. De la même façon, il arrive qu’un CV fasse référence à un emploi dans une entreprise où le postulant n’a jamais mis les pieds, mais le plus souvent la tromperie est moins caractérisée : le stagiaire prétend avoir été employé, l’employé affirme qu’il avait le statut de cadre, le cadre en rajoute sur les responsabilités qu’il a réellement exercées. Certains petits mensonges sont particulièrement risqués : si vous annoncez une pratique courante de l’anglais ou de l’allemand, attendez-vous à ce qu’une partie de l’entretien se déroule dans cette langue. Si vous n’êtes pas à la hauteur, vous passerez un très mauvais moment !

Les agences, associations, officines et sites spécialisés qui aident les candidats à un emploi à rédiger leur CV encouragent sans vergogne les petits arrangements avec la vérité. Ils conseillent par exemple d’occulter les expériences courtes qui se sont soldées par un échec, et de camoufler les périodes d’inactivité en « lissant » les parcours. Le coup de main donné à votre cousin, sous-traitant de second rang d’Alstom, de la mi-décembre 2008 à la mi-janvier 2009, se transforme en « chargé d’études pour Alstom, 2008-2009 ». Ce n’est pas complètement faux, mais c’est loin de la vérité !

Une étude sur ce thème, réalisée par un réseau international de cabinets de recrutement, montre que dans le tourisme, l’hôtellerie et la restauration, le transport , les entreprises de services et les technologies de l’information, on trouve entre 50 % et 60 % de CV « arrangés ». Les candidats fonctionnaires sont plus circonspects, et moins de la moitié d’entre eux embellissent leur curriculum.

Les deux parades du recruteur : mettre le candidat en situation ou payer un enquêteur

Ces entorses à la vérité ont plus ou moins de conséquences. Lorsque le candidat passe par le filtre de plusieurs entretiens préalables, avec des personnes différentes, et qu’une période d’essai est prévue, l’employeur attache peu d’importance aux détails du C.V., et se fie plutôt au vieux dicton : « C’est au pied du mur qu’on voit le maçon. »

En fait, seul un recruteur sur quatre demande à voir les diplômes originaux, et un sur six téléphone aux employeurs précédents. Il n’y a que pour les emplois sensibles que l’employeur accepte de débourser deux ou trois mille euros pour faire procéder aux vérifications utiles par un cabinet spécialisé. Il a d’ailleurs intérêt à être prudent et à choisir une société sérieuse, car on touche à la vie privée de l’individu, ce qui est sérieusement encadré par la loi. Le candidat doit en être informé et donner son accord. Ce qu’il fera sans hésiter si les renseignements fournis sont exacts. Dans le cas contraire, il peut espérer que les enquêteurs ne seront pas trop efficaces … et se préparer à envoyer quelques CV moins fantaisistes à d’autres entreprises !

 

Marc Mousli

Que risque-t-on à mentir sur son CV ?

Que risque-t-on à mentir sur son CV ?

 

Un homme de 58 ans, qui exerçait illégalement la profession d’architecte depuis 30 ans, a été interpellé mardi 26 mars, nous apprend Le Parisien.

 

Le quinquagénaire a construit des maisons, des immeubles HLM et même des bâtiments publics (école, clinique…) en banlieue parisienne, rapporte le quotidien. Le tout sans avoir obtenu de diplôme d’architecte. Il sera jugé en juin prochain.

En juin 2012, une fausse psychologue était déjà jugée à Toulouse pour avoir menti sur son CV.

Force est de constater que tricher sur son parcours est devenu courant, dans tous les secteurs, et à tous les niveaux. Les spécialistes des ressources humaines estiment qu’environ un tiers des CV comportent des informations trompeuses, véritables mensonges ou simples enjolivements.

Parmi les « arrangements » les plus fréquents, ils citent la dissimulation d’une période d’inactivité, la surestimation des compétences linguistiques, l’exagération de la durée d’un poste ou des responsabilités exercées.

Mais concrètement, que risque le candidat menteur ?

 

1. Avant l’embauche

 

Contrairement aux pays anglo-saxons, la France n’a pas de vraie tradition de vérification des CV des postulants à un emploi. À l’exception des grandes entreprises ou des cabinets de recrutement, les employeurs ne se penchent que sur les CV présentant des incohérences.

Mais une loi de décembre 1992 a sensiblement changé la donne : elle prévoit que l’employeur a le droit et le devoir de vérifier les informations présentes sur un CV. S’il ne le fait pas, c’est lui qui sera en tort.

Du coup, les recruteurs sont plus vigilants : beaucoup ont durci leurs entretiens d’embauche, pour tenter de mettre à jour d’éventuels mensonges.

L’entretien est devenu l’occasion pour les employeurs de tester la véracité des dires des candidats : les contrôles de références (contacts auprès des anciens employeurs) et la vérification auprès des formations mentionnées (dans l’annuaire des anciens diplômés, en exigeant la copie du diplôme) sont aujourd’hui largement répandus.

S’il est démasqué, l’auteur du CV truqué risque de se « griller » auprès de toute la profession qu’il entend exercer et de rejoindre la fameuse « black-list » des candidats à éviter. D’autant que les entreprises et cabinets de recrutement n’hésitent pas à communiquer entre eux ce genre d’informations gênantes.

 

2. Une fois recruté

 

Si le menteur passe à travers les mailles du filet et est embauché, l’employeur ne peut que difficilement se prévaloir de la faute du recruté en cas d’action en justice.

Il n’existe pas de règle particulière dans le code du Travail et en cas de litige, le conseil des prud’hommes étudie les dossiers au cas par cas. Mais la loi de 1992 protège en quelque sorte les salariés ayant « dérapé » de manière légère sur leur CV.

Mais attention : tout dépend surtout des performances après embauche du candidat, ou de l’ampleur du mensonge. Un petit maquillage de CV est toléré, un leurre grossier est rarement pardonné.

Quand un salarié est tout à fait compétent, aucun problème : les juges font fi des indications du CV pour ne prendre en compte que ses aptitudes réelles et ne retiennent pas sa faute. En revanche, s’il se révèle inapte à occuper son emploi (et s’il ne s’est pas fait remercier pendant sa période d’essai), avoir truqué son CV peut justifier un licenciement pour faute grave ou lourde.

Les juges apprécient également l’aspect déterminant pour l’embauche des informations erronées du CV. Lorsque le candidat a été recruté en mentant sur certains points capitaux (prétendre avoir obtenu un diplôme, avoir créé de toutes pièces une expérience professionnelle), c’est le licenciement pour faute assuré !

Le conseil des prud’hommes peut même prononcer l’annulation pure et simple du contrat de travail, ce qui ôte à l’employeur toute obligation vis-à-vis du salarié. Et notamment celle de payer des indemnités de licenciement.

 

3. Quand mentir relève d’une infraction pénale

 

Dans certains cas, falsifier un CV n’est pas si innocent. Dans certaines professions, le diplôme tient lieu d’attestation de compétences et il est impossible d’exercer sans détenir réellement le parchemin : c’est le cas pour les médecins, les avocats, les experts-comptables ou les architectes.

Les fraudeurs au CV peuvent alors être poursuivis en justice pour faux et usage de faux ou exercice illégal. Et les peines peuvent monter jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

 

Source : article de presse, extrait de “Ça m’intéresse” du 29 mars 2013 – Article de Mathilde Boireau